Entre 2021 et 2024, un cadre de la mairie de Thonon-les-Bains aurait envoyé anonymement des mails malveillants à plusieurs agents municipaux et une journaliste du Dauphiné Libéré. Son procès s’ouvrira le 6 juin prochain. Pour l’heure, la mairie reproche au journal d’avoir relayé des informations non vérifiées.
Entre le 25 août 2021 et le 16 janvier 2024, un homme nommé « Paul Sintzer » a adressé des dizaines de messages malveillants à différents agents de la mairie de Thonon-les-Bains et à une journaliste du Dauphiné Libéré, elle aussi basée sur la commune de Haute-Savoie.
L’enquête ouverte par la justice, révélée par le quotidien local, a permis de lever le voile sur l’identité du corbeau, en février. Le directeur général adjoint de la ville, Denis Bouclon, est soupçonné d’être l’auteur de ces correspondances. Un fonctionnaire au passé déjà émaillé de plusieurs scandales, rapportés par Le Parisien et Mediapart.
Le cadre aurait fait rembourser des frais personnels, notamment des safaris, sorties en boîte et relations avec des prostituées, par le lycée français de Nairobi, où il était alors enseignant dans les années 2010. Il a été nommé à la mairie de Thonon en juillet 2021.
Après avoir avoué être l’auteur des mails malveillants lors de sa garde à vue, le 15 février, il a été convoqué au tribunal pour une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité le 12 avril 2024. Problème : « Il a refusé la peine proposée par la justice », explique Bruno Badré, procureur de la République de Thonon-les-Bains, précisant que « ses motivations restent inconnues. »
« Son procès a été reporté au 6 juin prochain », poursuit le procureur. A la suite de sa comparution, la mairie de Thonon a immédiatement réagi dans un communiqué, expliquant qu’un « arrêté de suspension de fonctions » a été prononcé à l’encontre de Denis Bouclon « dès le 16 février 2024, à titre conservatoire« . Elle précise également qu’une « procédure disciplinaire est engagée, qui, à l’issue d’un examen contradictoire, permettra de prononcer la sanction adéquate ».
Dans ce long texte publié sur ses réseaux sociaux, la mairie précise que « le corbeau » s’est « adressé, à 17 reprises, à Madame Astrid Baud-Roche, élue d’opposition. Cette dernière a entretenu des conversations et même sollicité des renseignements sans visiblement avoir jamais cherché à lever l’anonymat de son correspondant. » Contactée, l’élue n’a pas pu répondre à nos sollicitations dans notre délai de publication.
Outre Astrid Baud-Roche, la mairie s’en prend également au Dauphiné Libéré. Elle accuse la journaliste visée par les mails de Denis Bouclon d’avoir rédigé des articles « directement inspirés des messages malveillants ». Le quotidien a fait paraître sa réponse ce jeudi 18 avril dans ses colonnes.
« Le communiqué de Christophe Arminjon [le maire de Thonon, NDLR] est grave et inacceptable. Nous le condamnons. Ses mises en cause répétées de notre journaliste cheffe d’agence sont intolérables. Nous les condamnons tout autant”, écrit ainsi Guy Abonnenc, rédacteur en chef du journal.
« Le crime de lèse-majesté municipale et le grave manquement déontologique dont nous nous serions rendus coupables, selon le maire : avoir cherché à vérifier ou avoir été ‘inspirés’ par des informations distillées dans ces messages. Oui, monsieur le maire, il arrive que des rédactions et même d’honorables services publics (fiscaux ou autres) reçoivent des messages de lanceurs d’alerte et les utilisent si tant est que ces messages puissent contenir des éléments crédibles et qu’ils soient dûment vérifiés. Ce qui va sans dire », poursuit le communiqué.
“Le Dauphiné Libéré, l’ensemble de sa rédaction composée de près de 300 journalistes, soumis à des règles et à une stricte éthique professionnelle, apportent un soutien entier et sans faille à Virginie Borlet et à la rédaction de Thonon-les-Bains.”
Joint par téléphone, Guy Abonnenc explique : “Ce communiqué de la mairie, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Lorsque la crédibilité d’un média est attaquée publiquement, on ne peut pas laisser passer ça. C’est une question de démocratie. »
Le journal déplore une relation « dégradée » avec le maire de Thonon-les-Bains, Christophe Arminjon, depuis plusieurs mois. « Nous lui ouvrons nos colonnes, mais il refuse de répondre à nos sollicitations. Alors même qu’on lui donne la possibilité de s’exprimer, alors même qu’on a une charte professionnelle qui offre toutes les garanties d’offrir un journalisme de qualité. La loi de 1881 donne la possibilité à tout citoyen de demander un droit de réponse. Il l’a fait à plusieurs reprises. On est présents sur huit départements, de tous les élus avec lesquels on est en contact, c’est le seul qui agit de la sorte. »
À l’avenir, le Dauphiné Libéré « se réserve le droit de donner des suites judiciaires à l’affaire ». Contactée, la mairie de Thonon-les-Bains n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations.
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