La contestation s’organise ces derniers mois autour du Canal Seine-Nord Europe. D’abord initiée par les bateliers de Longueil-Annel, elle a fédéré lors d’une première manifestation des collectifs écologistes, notamment les soulèvements de la Terre. Alors que le collectif – informel – «Stop Canal» s’organise, les étudiants de l’UTC de Compiègne ont également lancé leur réflexion et organisé une première manifestation en décembre. Avocat inscrit au barreau de Paris, et maire de Margny-sur-Matz, 550 habitants, dans le Pays des Sources Baptiste de Fresse de Monval est le premier élu à se positionner contre le Canal. Alors que les travaux battent actuellement leur plein entre Thourotte et Noyon, il avance des arguments écologiques et économiques.
Baptiste de Fresse de Monval vous êtes l’un des premiers élus locaux a annoncer vouloir vous battre contre le Canal Seine-Nord Europe actuellement en construction. Pourquoi ?
C’est un sujet que j’ai découvert assez récemment même si c’est un vieux projet qui est dans les cartons depuis les années soixante-dix au moins. Il y a eu quelques petites oppositions au début, mais ça n’a jamais vraiment pris. Là les travaux ont commencé au nord de Compiègne et il y a ce collectif d’étudiants de l’UTC (Université technologique de Compiègne, NDLR) qui a commencé à se mobiliser sur le dossier, ils sont une cinquantaine et ont réuni quelque deux cents personnes lors de leurs premières manifestations. J’ai commencé à m’y interesser notamment parce que François Ruffin (député Insoumis de la Somme, NDLR) avec qui je travaille sur plusieurs autres sujets m’a demandé mon avis. Je me suis donc rendu aux réunions du collectif en étant plutôt favorable au Canal, ne connaissant pas le sujet.
Cela vous a fait changer d’avis ?
Complètement. Au début, j’étais plutôt convaincu par l’argument du report modal (faire transiter demain sur l’eau, les marchandises circulant aujourd’hui par camion sur les routes, NDLR) l’A1 étant encombrée. Ça, c’estl’argument écologique. Le deuxième argument est social et consiste à penser que cela va créer une dynamique, de l’emploi dans la région. Or à cette réunion de l’UTC était présent un représentant de la Société du Canal Seine-Nord, et j’ai donc pu écouter les arguments des deux parties et me faire un avis beaucoup plus vite, en travaillant ensuite deux ou trois semaines à la lecture des rapports et documents relatifs au dossier.
Quelles sont vos conclusions désormais ?
C’est vrai que quand on compare le transport fluvial au transport routier, le fluvial est moins polluant. Mais les études démontrent qu’en réalité la concurrence du Canal Seine-Nord ne sera pas contre le routier, mais contre le ferroviaire. Pourquoi ? Parce qu’une barge qui se déplace sur le canal transporte du vrac, des grains principalement, tandis qu’un camion à l’inverse transporte souvent des produits finis, des palettes. Or comment transporte-t-on aussi le vrac aujourd’hui ? Par le fret ferroviaire. La vraie concurrence est contre le ferroviaire et là on a un problème parce que le ferroviaire est beaucoup moins polluant que le fluvial.
Le Canal Seine-Nord n’aurait pas de vertus écologiques selon vous ?
Une étude démontre que le Canal Seine-Nord aurait pour impact de réduire le nombre de camions sur l’A1 de 3 %. À peine 3 %. Je sais qu’il y a eu d’autres expériences, notamment dans le Rhône qui montrent qu’en réalité l’impact sur le routier est assez faible pour ce genre d’aménagements. Donc l’argument du report modal, c’est le premier gros point d’interrogation.
Le second ?
Le second c’est que pour maintenir le niveau d’eau du Canal Seine-Nord, on va construire une bassine d’une contenance – je n’en croyais pas mes yeux quand j’ai vu ça – de 14 millions de mètres cubes. C’est hallucinant. C’est franchement indéfendable. J’ai passé tout l’été à publier sur les fenêtres de ma mairie des interdictions préfectorales pour que mes administrés n’arrosent pas leurs potagers, pour que les agriculteurs n’arrosent pas leurs cultures et on nous explique qu’on va faire une bassine de 14 millions de m3 de rétention d’eau (à Allaines, dans la Somme, NDLR). En plus de ça je ne suis pas certain que cette bassine ait été pensée avec les contraintes d’eau qu’on va connaître dans les prochaines années : si c’est pour travailler sur des hypothèses obsolètes ça n’a absolument aucun sens. L’argument du Canal Seine-Nord c’est de dire que contrairement à une bassine on ne va pas pomper dans la nappe : c’est vrai que c’est mieux si on ne pompe pas dans la nappe, mais le cycle de l’eau, c’est un cycle par définition, et quand on retient de l’eau, elle sort du cycle. Or il y a aussi un sujet autour de l’évaporation, je ne suis pas un expert, mais ça ne tient pas la route. Et surtout, allez expliquer aux agriculteurs du coin qu’ils ne peuvent pas arroser leurs cultures car on garde toute l’eau pour maintenir le niveau d’eau du canal. Tout ceci me faire dire que ce n’est pas du tout un projet écologique.
Il y a aussi l’aspect social.
Oui. Les emplois. Évidemment ce serait magnifique que le canal tienne les promesses faites en termes d’emploi. Sauf que j’ai une incertitude là-dessus. Je parlais du projet du Rhône, il y a aussi un projet Rhin, et on se rend compte que les promesses sur ce type de projets de grands canaux fluviaux n’ont jamais été tenues. Par contre j’ai une certitude de l’autre côté, c’est qu’avec 5 à 8 milliards d’euros d’argent public (aujourd’hui 5,1 Md affichés par le Canal Seine-Nord, mais avec les dépassements, etc on va plutôt tabler sur un montant supérieur) je sais très concrètement le nombre d’emplois aidés qu’on peut financer dans des mairies comme la mienne par exemple. Parce qu’ici à Margny-sur-Matz on vient chaque année nous réduire la participation de l’État aux parcours emploi-compétence au motif que les emplois aidés c’est fini, qu’il faut faire attention aux comptes publics, etc. Je pense que même si on atteint les promesses d’emploi du Canal, ce dont je doute fortement (50.000 emplois tout cumulé promis lors de son lancement, NDLR), on aurait pu créer beaucoup plus d’emplois avec ces 5 à 8 milliards d’euros. C’est un vrai sujet : on n’est pas dans une société de l’abondance, on est dans une société de restrictions des ressources financières, il faut mieux dépenser les fonds publics.
Mais une partie de ces fonds sont aussi des fonds européens…
Vous avez tout à fait raison, en termes de «canalisations» ça ne vient pas du même endroit. Mais ne serait-ce que sur les fonds français, régionaux et départementaux déjà, ça pourrait être mieux utilisé et ensuite pourquoi n’utiliserait-on pas mieux aussi ces fonds européens ? Tout ceci me fait dire que les voeux que le canal représente la grande dynamisation et règle la question de l’emploi, ça me pose de grandes questions parce qu’en revanche on sait les emplois qui vont être détruits : allons voir par exemple ce qu’en pensent les bateliers de Longueil-Annel. Il n’en reste plus beaucoup en France : il y avait 500 familles et beaucoup moins aujourd’hui. C’est tout un écosystème qui va disparaître au profit des grands transporteurs de la mondialisation, Maersk et compagnie : je ne suis pas sûr que ce soient des emplois d’avenir pour notre région.
Vous avez des doutes techniques aussi.
Je m’interroge sur le dimensionnement oui. C’est un point qui m’a fait bondir. Aujourd’hui on fait des travaux pour des barges qui transportent trois hauteurs de containers. C’est énorme, ce sont des paquebots. Mais en réalité en amont et en aval du Canal, les installations ne permettent pas de passer plus de deux hauteurs de containers. Donc on va construire un canal dimensionné pour trois, mais les bateaux vont rester au milieu. Le sujet ce sont les ponts et les écluses qui ne sont pas dimensionnés pour, sauf cette portion, le Canal Seine-Nord au milieu… C’est pas très logique et l’argument du Canal Seine-Nord qui est de dire «on aura fait notre part, on ne sait pas de quoi l’avenir sera fait» n’est pas satisfaisant : je vois le coût, l’impact en termes d’eau et je me demande si ce n’est pas un pari complètement fou qu’on est en train de prendre. Pour moi c’est un projet qui n’a pas de sens, d’un autre temps, basé sur des croyances, de l’idéologie : on fait très grand et l’intendance suivra, comme disait le général de Gaulle. C’est notre rôle à tous de nous poser les bonnes questions.
Est-ce qu’il n’est pas trop tard pour se poser ces questions alors que les travaux ont déjà débuté, que des fonds ont déjà été engagés, qu’il a été dit «que rien ne pourra l’arrêter désormais ?»
C’est une excellente question et c’est tout le sujet. J’ai deux réponses : d’abord quand on fait une bêtise et qu’on s’en rend compte, est-ce qu’on s’entête ? Ou bien ne vaut-il pas mieux s’arrêter à mi-chemin ? C’est du bon sens. Ensuite des fonds ont été engagés, mais c’est une infime partie par rapport ce qui est envisagé. L’Histoire jugera la capacité des décideurs de s’arrêter aussi en fonction des nouvelles données qu’on a, notamment au sujet de l’eau et du dérèglement climatique. C’est aussi ça être un décideur : savoir s’adapter au contexte plutôt que de s’arcbouter sur des décisions qui datent des années soixante-dix. Ensuite ce qu’il se passe par exemple sur l’autoroute A69 (un projet contesté autour de Toulouse, NDLR) démontre qu’il n’est jamais trop tard.
Quel est votre but aujourd’hui ?
Je ne veux pas avoir raison tout seul. Mon but c’est de discuter avec les porteurs du projet et de convaincre petit à petit les élus locaux, l’État que ce projet n’a pas de sens et qu’il y a mieux à faire avec cet argent public. Et pour cela je ferai ma part.
D’autres élus sont sur la même ligne ?
J’espère bien. Je ne peux pas encore donner de noms parce qu’ils ne sont pas encore décidés à communiquer, mais je sais que je ne suis pas le seul à avoir des réserves, c’est très clair. Ils sont comme moi : ils sont partis avec un a priori positif, puis se sont renseignés et aujourd’hui se rendent compte que ce n’est pas si simple ou évident que ça. Je pense qu’on peut trouver des soutiens, les élus du coin et des grands élus peuvent évoluer.
Un combat que vous voulez mener en tant qu’élu et avocat.
Oui, parce qu’il va y avoir une bataille juridique, qui s’annonce homérique, avec des recours. Il va falloir la mener et je prendrai ma part.
Vous représenterez un collectif d’opposant ? Une association ? Pour quel type de recours ?
Ce ne sera pas en mon nom propre évidemment : l’avocat n’est toujours que l’avocat de ses clients, mais ce qui est certain c’est que j’ai commencé à réfléchir à la situation, il y a plusieurs angles que je ne vais pas dévoiler aujourd’hui. Mais on sait que les tribunaux administratifs – et judiciaires dans certains cas précis – ont de plus en plus leur mot à dire sur ce type de grands projets, car il existe des grands principes qui doivent être respectés par les pouvoirs publics. Et notamment la prise en compte des nouvelles données disponibles sur le dérèglement climatique.
On ne peut donc pas dire qui seront vos clients…
C’est trop tôt pour le dire. Mais la stratégie juridique est en cours de construction, et j’y prendrai part.
Le maire de Margny-sur-Matz a écrit une lettre ouverte, destinée à convaincre de l’erreur du Canal Seine-Nord. La voici :
Le mois de janvier d’un élu local est un sympathique marathon de cérémonies de vœux. Ces cérémonies se succèdent et se ressemblent. Elles commençent par le discours d’un maire ami, suivi par celui du président de la communauté de commune, du conseiller départemental, du conseiller régional et du député ou sénateur avant de se retrouver autour d’un pot avec les habitants.
Cette année, un sujet est à la mode : le Canal Seine-Nord Europe. Cette apparition soudaine dans les discours de ce projet, pourtant dans les cartons depuis les années 70, est due au fait que les travaux ont démarré, cet automne 2023, à Compiègne, tout près de Margny-sur-Matz.
Pour la conseillère régionale, ce projet écologique permettrait de désengorger l’A1 dont la file de droite est saturée par les camions.
Le député espérait lui que ce projet social tiendrait ses promesses d’emplois pour des milliers de chômeurs.
Je peux difficilement le leur reprocher, il y a peu, je le pensais aussi. Mais c’était avant. C’était avant que j’assiste à une réunion du Collectif Stop Canal composé d’étudiants de l’UTC, d’anciens bateliers et d’une foule de citoyens.
Quelques lectures ont ensuite suffi à transformer les discours de vœux en vœux pieux.
Sur l’écologie, ce n’est pas le transport routier de l’A1 qui sera concurrencé par le canal mais le transport ferroviaire pourtant moins polluant que le transport fluvial. Le canal réduirait d’à peine 3 % le nombre de camions sur l’A1. Pour assurer le niveau d’eau dans le canal, il est prévu de construire une bassine de 14 millions de m3. Ne comptez pas sur moi pour la justifier alors que j’affichais tout l’été, sur les fenêtres de la mairie, les interdictions préfectorales d’arrosage des potagers et d’irrigation à destination des agriculteurs.
Le front de l’emploi n’est guère plus encourageant. D’une part, l’incertitude sur le fait que ce projet tiendra lui ses promesses en termes d’emplois alors que les projets comparables ne l’ont pas fait. D’autre part des certitudes : le nombre d’emplois aidés dans nos mairies qui auraient pu être financés avec les 5 à 8 milliards d’euros publics prévus pour le Canal ; les artisans bateliers de Longueil-Annel qui vont disparaitre au profit des grands transporteurs de la mondialisation.
La cerise sur le gâteau est le dimensionnement. Le projet est prévu pour accueillir des bateaux de 3 étages de conteneurs alors qu’ils ne passeront ni amont ni en aval du fait des ponts et canaux existants.
Rien ne sert d’avoir raison tout seul.
En guise de vœux, je nous souhaite de convaincre de l’absurdité de ce projet pour qu’aux cérémonies des prochaines années, les discours aient changé.
En 2024, en tant qu’avocat dans la bataille juridique qui s’annonce et en tant qu’élu local, je ferai ma part.
Baptiste de Fresse de Monval,
Maire de Margny-sur-Matz
Avocat au barreau de Paris
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