Les gendarmes de l’environnement ont mené une série d’interpellations dans le cadre d’une enquête sur un contournement massif de la législation sur le retraitement des déchets dans l’ouest lyonnais. Des milliers de tonnes de terres et gravats issus des chantiers de l’agglomération y seraient déversés.
Le Figaro Lyon
Des dizaines de tonnes de gravats, parfois souillés d’amiante, déversés sur les surfaces agricoles. Six individus suspectés de trafic de déchets dans l’ouest lyonnais ont été mis en examen vendredi 13 octobre, selon une information de l’AFP confirmée au Figaro par plusieurs sources proches du dossier. Parmi les mis en cause figurent des agriculteurs, suspectés d’avoir récupéré les terres excavées sur les chantiers de l’agglomération pour remblayer leurs parcelles, mais aussi des promoteurs, qui auraient souhaité contourner la coûteuse filière habituelle de retraitement, et même le maire d’une commune. Édile de la verdoyante commune de Vaugneray, Daniel Jullien est suspecté d’avoir facilité le manège des camions venant décharger ces terres considérées par la loi comme des déchets, en délivrant des autorisations à plusieurs agriculteurs du cru. Cela, malgré les alertes de riverains et militants associatifs d’une part, et en dépit des décisions de justice à l’encontre de Jean-Marc C., un des agriculteurs concernés, d’autre part.
Épinglé dès 2016 par la direction départementale de la protection des populations (DDPP), Jean-Marc C. avait été condamné en première instance et en appel pour avoir fait venir d’importantes quantités de terres de déblaiement sur ses parcelles, sans lien avec son activité agricole. Il faut dire que le manège est lucratif, surtout au vu des quantités visées. «Les investigations ont permis de mettre en évidence le déversement depuis l’année 2020 de 180.000 m³ de déchets provenant d’importants chantiers du bâtiment et des travaux publics dans des décharges illégales», précise le parquet de Lyon au Figaro. L’équivalent de 72 piscines olympiques, déversées sur des dizaines d’hectares. L’enquête, menée par les gendarmes de l’environnement de l’Oclaeps avec le soutien de leurs collègues du Rhône et la collaboration de l’OFB, sous l’égide de deux magistrats instructeurs lyonnais, a permis de mettre en évidence «un système de trafic de déchets en bande organisée impliquant des promoteurs immobiliers, des entreprises de terrassement et de transports ainsi que des agriculteurs et propriétaires fonciers».
«Agriculteurs indélicats»
Le code de l’Environnement impose la valorisation des déchets issus du BTP, sur site, en stockage définitif ou en zone agricole. Le maître d’ouvrage a de son côté la responsabilité de s’assurer de sa bonne gestion. Un véritable casse-tête en zone urbaine, où les parcelles sont petites. La terre excavée pour les constructions et fondations ne peut donc être stockée sur place. «Elle doit être évacuée soit vers structures agréées et contrôlés, et ça coûte 250 euros par trajet, soit de manière illégale chez des agriculteurs, qui facturent 60 euros», traduit Maurice Fisch, co-président de l’association Sauvegarde des coteaux du Lyonnais (SCL), partie en croisade contre quelques « agriculteurs indélicats». L’enquête menée par la juridiction interrégionale spécialisée de Lyon a en effet révélé un contournement industriel de la législation. Une « gestion irrégulière de déchets en bande organisée », selon le chef d’inculpation, qui comprend l’enfouissement ou le dépôt de déchets de construction non autorisée sur une terre agricole.
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Dans ses jugements contre Jean Marc C., la justice indique clairement que la commune de Vaugneray a failli à faire respecter le Plan local d’urbanisme, qui n’autorise les exhaussements de terre que lorsqu’ils ont une réelle vocation agricole. La justice administrative avait d’ailleurs annulé en 2021 et à la demande de la préfecture, l’autorisation de travaux du maire de la commune au profit de Jean Marc C.. Ce dernier a expliqué au Figaro ne pas être le seul concerné. «Il y en a une dizaine qui font comme moi, et certains bien plus riches, qui continuent», assure-t-il.
Jusqu’au chantier de la police scientifique
L’ampleur du trafic est illustrée par une anecdote. Selon nos informations, des terres issues du chantier titanesque de l’agrandissement des locaux de la police scientifique, à Ecully, ont, elles aussi, été détournées. «C’était des super bonnes terres, rétorque l’agriculteur les ayant récupérées. Il n’y avait sûrement même pas un bâtiment dessus». Il a fallu l’intervention du ministère de l’Intérieur pour stopper, rapidement après en avoir été alerté, les rotations de camions entre Ecully et Vaugneray. «On est face des gens sans scrupule, déplore Dominique Delorme, à la tête de l’Unicem, l’organisation patronale de la filière en Auvergne-Rhône-Alpes. Il y a des gains conséquents à réaliser, de l’ordre de 500.000 euros parfois, et les amendes ne sont pas à l’échelle. D’autant que les procédures sont longues et que les mis en cause ont le temps d’organiser leur insolvabilité». Sur 5 millions de mètres cubes traités annuellement en région, 90% partent dans la bonne filière, selon Dominique Delorme.
Il appelle à faire bouger «les voies réglementaires». « Nous avons des juridictions dotées de procureurs spécialisés désormais, des professionnels bien formés et qui ont compris l’enjeu. Mais parfois quand les dossiers se retrouvent devant un juge, on a le sentiment de grosses mafias. La profession milite donc fortement. Nous avons un accord de la filière avec la région pour promouvoir le tri et le recyclage. En Auvergne Rhône Alpes, nous sommes en pointe. La réglementation existe, les entreprises sont contrôlées et la société dans son ensemble est vigilante.» Au rang des acteurs consciencieux, nous avons retrouvé ce promoteur immobilier qui avait écrit à la société de travaux qu’il employait sur un programme neuf de Francheville en 2022 pour lui demander de cesser les dépôts illégaux. Menaçant au passage par écrit de couper les paiements dans l’attente. «Ce que l’on voit sur Vaugneray donne une mauvaise image de la profession avec en plus un enjeu de concurrence déloyale pour les entreprises», regrette Dominique Delorme.
De l’amiante dans les sols ?
Au-delà de l’aspect réglementaire, c’est l’enjeu environnemental qui a poussé la Sauvegarde des coteaux du Lyonnais à agir, et porter plainte contre le maire pour sa complicité présumée. Sollicité par Le Figaro via son cabinet et son avocat, l’édile n’a pas souhaité faire de commentaire sur l’affaire en cours. «Il peut y avoir tout un tas de cochonnerie, s’alarme Maurice Fisch. On en a eu la preuve dans la commune voisine de Pollionnay où deux agriculteurs accueillaient des terres d’un chantier de Craponne. Sur les photos que nous avons prises, on peut voir un peu de terre, mais aussi des blocs de béton, de la ferraille, du bois, des fils électriques». Il décrit les promesses de limon fertile devenues à la livraison des terres caillouteuses pleine de débris. «L’enquête confirmait que ces faits provoquaient des conséquences préjudiciables sur l’environnement et la biodiversité», précise le parquet de Lyon au Figaro. Le jugement de Jean-Marc C. souligne d’ailleurs que l’apport «de plusieurs dizaines de milliers de mètres cubes de terre de déblai en provenance des chantiers locaux de travaux publics et autres» avait modifié «considérablement l’environnement sur plusieurs milliers de mètres carrés». «Quand on décharge 1000 mètres carrés, ce sont 1000 mètres carrés artificialisés», insiste Maurice Fisch.
Jean-Marc C. assure, lui, que ces terres sont propres. «On n’a pas de centrales de traitement mais la plupart des terres ne sont pas polluées, assure celui qui élève 150 bêtes et replante des luzernes sur ces remblais. Les terres de terre pleine masse ne sont pratiquement jamais polluées, les promoteurs font des analyses en amont. Il arrive bien sûr que deux trois cochonneries traînent mais ces sols sont bons, plus argileux que les nôtres». «J’ose espérer qu’on ne parle pas terre polluée, s’étrangle Dominique Delorme. Mais la loi est claire et il y a un risque de transformer une terre agricole de bonne qualité en terrains dégradés. Il faut des protocoles pour que ce soit bien fait. Or quand il n’y a aucun contrôle, on passe au travers de tout cela.» Maurice Fisch évoque la présence d’amiante dans certains déchets. «Ça peut arriver qu’on trouve un bout de plastique ou des déchets, mais on trie», assure encore Jean-Marc C. Une quinzaine de prélèvements ont été pratiqués sur son terrain par les gendarmes, qui auraient notamment retrouvé un tuyau d’amiante.
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Parmi les chefs d’inculpation des six mis en examen, certains confirment les atteintes environnementales, notamment «à la conservation d’une espèce animale protégée ou à son habitat». Le maire lui est mis en examen du chef de prise illégale d’intérêts par un élu public, pour avoir facilité la commission des faits. À l’inverse, son homologue de la commune voisine de Pollionnay avait dès 2022 pris un arrêté définitif pour interdire la circulation des véhicules de plus de 3,5 tonnes sur un chemin d’accès à une propriété concernée. Le texte mentionnait que «la circulation incessante de poids lourds rejoignant le terrain (…) a complètement dégradé le chemin rural». Pour l’heure les rotations se sont arrêtées chez Jean Marc C. L’agriculteur pointe en revanche le ballet qui continue chez ses voisins.
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