Vendredi au petit matin, un homme avance d’un pas énergique sur la place de l’hôtel de ville. Le maire de Saint-Étienne est allé faire un tour à notre demande pour se laisser photographier. C’est l’occasion de nous montrer qu’il peut marcher dans sa ville.
Car, depuis les derniers rebondissements de l’affaire, les mauvaises langues le disent invisibles, reclus. « Il n’annonce plus ses déplacements, nous glisse un élu, et ne communique que sur ceux qui ont déjà eu lieu. » Le mois dernier, Gaël Perdriau a été contraint d’interrompre un dîner dans une brasserie du centre-ville et de s’en aller sous les huées. La plupart des protestations provenait de militants communistes, mais depuis le maire n’est plus retourné dans ce restaurant.
Les temps sont durs pour celui qui se dit « amoureux de sa ville » qui plus est « meurtri » et « sous pression » à cause de « cette affaire qui n’en est pas une ».
Une élection pleine de promesses
Tout commence fin 2014. Jeune quadra prometteur, Gaël Perdriau a gravi tous les échelons de la politique locale. Il vient d’être élu à la mairie de Saint-Étienne et incarne les espoirs de la « vague bleue » de ces élections municipales. L’élu de terrain a mené campagne avec Gilles Artigues, le chef de file des centristes. Cet ancien député UDF sera logiquement nommé premier adjoint.
Début 2015, en déplacement à Paris, ce père de famille est filmé à son insu dans une chambre d’hôtel en compagnie d’un escort-boy venu prodiguer un massage olé-olé. La caméra Go Pro a été installée par le jeune adjoint à l’Éducation de la mairie de Saint-Étienne, qui l’accompagne dans son déplacement. Elle tombe en panne de batterie au bout de quelques minutes mais enregistre suffisamment d’images et de son pour constituer un outil de chantage. La justice suspecte aujourd’hui l’équipe du maire de Saint-Étienne d’avoir organisé ce « kompromat » pour domestiquer Gilles Artigues.
Une vidéo compromettante que Perdriau n’aurait jamais vue
Lors de notre entretien, le maire Gaël Perdriau nous dit avoir eu vent de cette vidéo courant 2015 mais ne l’avoir « jamais vue », « jamais détenue ». « On m’en a parlé comme d’une soirée privée et consentie. Et connaissant Gilles Artigues et sa famille depuis 30 ans, j’ai plutôt cherché à protéger sa vie privée donc je n’en ai pas parlé. » Ainsi, est-ce par bienveillance que le secret aurait été si bien gardé si longtemps !
Si ce n’est à lui, à qui alors profitait le crime ? Perdriau renvoie la balle vers l’auteur de la vidéo : Samy Kefi-Jérôme, son ancien adjoint, qui fut aussi — et surtout, insiste-t-il — un proche de Gilles Artigues. Il se présente comme la victime collatérale d’histoires personnelles toxiques. Le maire se défend aussi d’avoir utilisé ce film pour exercer une quelconque pression sur son ancien premier adjoint.
Gilles Artigues affaibli, humilié
La preuve a été étayée par ses avocats, Me Christophe Ingrain et Jean-Félix Luciani, qui ont récemment envoyé aux juges d’instruction lyonnais l’analyse des séquences politiques qui démontreraient que Gilles Artigues a agi en toute liberté pendant les années où il prétend avoir subi un chantage.
Ne s’est-il pas présenté aux législatives en 2017 avec le soutien du maire ? Pourquoi s’est-il représenté aux municipales de 2020 ? Les proches de Gilles Artigues décrivent au contraire un homme aux abois. « Il avait une attitude que je ne m’expliquais pas et n’arrivais pas à qualifier, confie son compagnon de route Denis Chambe. Il était humilié en permanence, je savais qu’il souffrait, mais ne savait pas de quoi. »
Son ancien collaborateur parlementaire Lionel Boucher ajoute : « Je l’ai vu courber l’échine, cela ne lui ressemblait pas ».
Artigues démissionne, contraint et forcé ?
Courant 2022, en marge de la campagne pour les législatives, Artigues est pris à partie par le maire lors d’un conseil de majorité. Bien que candidat LR-UDI à la députation, il a aussi sollicité le soutien de François Bayrou dont il est proche. À l’issue de ce que son ami Denis Chambre décrit comme « un procès stalinien », Gilles Artigues est traité de « traître » et sommé de se rendre lui-même à la préfecture pour démissionner de son poste de premier adjoint.
La décision semble anodine, mais selon l’intéressé, dissimule un dessein stratégique : « Gaël Perdriau se voyait ministre et donc obligé de laisser la mairie à son premier adjoint, c’est-à-dire à moi ! Il fallait donc changer ». Prétextant un projet professionnel, Artigues renonce à son poste et donc à ses ambitions. « Il est évident que sans la menace de diffusion d’images compromettantes, je me serais rebellé, aurais maintenu ma candidature et refusé de démissionner de mon poste de premier adjoint. »
Gilles Rossary-Langlet, l’anti-héros
Gilles Artigues ignore alors que le site « Mediapart » a eu vent de l’affaire et s’apprête à tout sortir. Leur informateur s’appelle Gilles Rossary-Langlet. Cet ancien militant au PS a évolué dans les coulisses de la vie politique locale. La quarantaine enrobée, écharpe colorée autour du cou, ce « barbouzard » à l’humour cinglant assume aujourd’hui le rôle d’anti-héros dont il s’est lui-même affublé.
Il a exercé de multiples métiers, tenu une librairie ésotérique à Saint-Étienne. De passage à Paris, il a rencontré son compagnon Sami Kefy-Jérôme. « Il sortait de Stanislas et distribuait des tracts dans des boîtes gays. » Le couple s’installe à Saint-Étienne et se lance en politique.
Bientôt, Gilles anime l’antenne locale du MRC de Jean-Pierre Chevènement. Samy rejoint les centristes. Il se rapproche de Gilles Artigues et devient un ami de la famille. « On l’adorait, se souvient Claire-Marie Artigues. Il avait gagné notre estime et la confiance de mon frère, mes sœurs et moi. Il m’offrait des cadeaux, nous amenait toujours son chien. Nous l’avions même invité à la communion de ma sœur Louise, c’est comme s’il faisait partie de la famille. »
En janvier 2015, c’est pourtant cet « ami » qui monte l’opération de « kompromat ». « Notre journée terminée, on était repassé à l’hôtel dans l’idée de sortir pour dîner. » Sami fait venir Artigues dans sa chambre d’hôtel où il a installé la caméra. « Il était affolé à cause du bouton rouge qui clignotait ! », se souvient Rossary-Lenglet.
Depuis Saint-Étienne, c’est lui qui tire les ficelles de ce piège réussi. Lui qui réalise le montage et le transmet à Sami qui s’en servira pour faire chanter Gilles Artigues et lui dire — comme on peut l’entendre dans des enregistrements diffusés par « Mediapart » — qu’il est « tenu en laisse ».
Covid, diabète : la vie change de cours
En 2020, la vie de Rossary-Langret bascule avec le Covid. « J’ai été malade et ça m’a rendu diabétique. » Depuis, il suit toutes sortes de traitements et teste même de nouveaux médicaments. À cela se sont ajoutés des ennuis d’argent et la sensation d’être lâché par tous. Comme l’écrivait Alexandre Dumas : « Il y a des services si grands qu’on ne peut les payer que par l’ingratitude ».
Rossary-Lenglet en fait la cruelle expérience. Ayant espéré, sans succès, obtenir des retours d’ascenseur, il finit par tout balancer à la presse. L’affaire éclate en août 2022 dans « Mediapart » et elle court toujours.
Livré au compte-goutte depuis l’été 2022, le récit haletant est passé au crible des magistrats qui multiplient les mises en examen, en avril 2023 et ce 19 janvier. Avant de nous quitter, Rossary-Lenglet s’appuie sur le coin de table et pousse un soupir. Maintenant qu’il a fourni toutes les preuves à la justice, il attend que les langues se délient.
Tandis que le maire refuse de démissionner et continue de clamer son innocence dans l’affaire [voir notre interview], son directeur du cabinet, Pierre Gauttieri, a, lui, jeté l’éponge. Il a avoué son implication et accusé le maire. « J’ai pris le parti de communiquer publiquement qu’après m’être exprimé complètement devant les magistrats et ce afin de ne pas entretenir un risque de confusion », nous a-t-il écrit.
Aujourd’hui conseiller régional de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Sami Kefy-Jérôme a été privé de ses délégations. Le témoignage de l’exécuteur du « kompromat » sera déterminant pour évaluer la responsabilité des uns et des autres.
Quant à Gilles Artigues et sa famille, ils ont suivi de nombreuses séances de psy, nous disent-ils, et attendent le départ de Gaël Perdriau et son équipe comme un moment salvateur. « On ne leur souhaite pas la prison, commente Lionel Boucher, mais qu’ils soient éloignés des mandats électifs et ne travaillent plus jamais dans la fonction publique. »
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