Une fois de plus, Grenoble s’est réveillée en état de choc, dimanche 8 septembre 2024. Lilian Dejean, agent municipal chargé de la propreté, a reçu deux balles dans le thorax, tirées par un chauffard qu’il tentait d’empêcher de fuir après un accident de la circulation. L’employé de 49 ans a succombé à ses blessures quelques heures plus tard.
Le suspect, dont la pièce d’identité a été retrouvée dans son véhicule, est toujours « activement recherché », et une information judiciaire pour « meurtre sur personne chargée d’une mission de service public, blessures involontaires et délit de fuite » a été ouverte, a fait savoir le parquet ce mercredi.
« C’est une violence inouïe qui s’est abattue sur notre collègue », a lancé Éric Piolle, maire (Les Écologistes) de Grenoble depuis 2014, lors d’un hommage depuis les marches de l’Hôtel de ville, lundi 9 septembre. Se disant « triste » et en « colère », l’édile a asséné : « Nous n’en pouvons plus de ces armes à feu partout. »
Violences par arme à feu en série
Depuis le début de l’année, les drames de ce type sont monnaie courante dans la préfecture et plus grande ville de l’Isère, un peu plus de 157 000 habitants au dernier recensement. Celui de dimanche porte au moins à dix-huit le total de violences par arme à feu depuis janvier dans la ville et son agglomération, dont sept en seulement trois semaines cet été.
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Le 4 août, un homme circulant à trottinette électrique a ouvert le feu sur trois personnes, en tuant une et blessant les deux autres. Le 7 août, deux hommes âgés de 22 et 27 ans, arrivés de région parisienne pour vendre des armes, ont été visés près du centre-ville. Le 13 août, quatre hommes ont été blessés, dont trois très grièvement, par une rafale de tirs sur un point de deal à Échirolles, en banlieue sud de Grenoble. La même ville où le 30 juillet, le 6 et le 21 août, trois hommes ont également été blessés par balles.
Le « Chicago français »
À chaque fois, un dénominateur commun : le narcotrafic. « Je n’avais pas vu ça depuis ma prise de poste à Grenoble, il y a cinq ans », s’alarmait le procureur de la République, Éric Vaillant, dans un entretien au Parisien mi-août. Dès 2017, son prédécesseur, Jean-Yves Coquillat, confiait pourtant n’avoir « jamais vu une ville de cette taille aussi pourrie et gangrenée par le trafic de drogue » dans les colonnes du Dauphiné libéré .
En 2018, le syndicat de police Alliance avait surnommé Grenoble « le Chicago français » en référence à la métropole américaine, repaire du célèbre gangster Al Capone (1899-1947), rappelle le quotidien local. En 2020, un Grenoblois sur deux déclarait se sentir en insécurité, selon une enquête commandée par un avocat local spécialisé dans l’aide aux victimes. Et ce dans un département qui compte malgré tout, si l’on en croit les statistiques du ministère de l’Intérieur, un nombre d’homicides pour 100 000 habitants inférieur à la moyenne nationale en 2023 (1,17 contre 1,5).
« La particularité de ces dernières semaines, c’est la densité » des épisodes de violence, souligne Éric Vaillant au Parisien. Il n’hésite pas à parler d’une « guerre des gangs intense ». Celle-ci s’expliquerait par une rivalité pour le contrôle et la reprise des points de deal, notamment lorsque les trafiquants qui les tiennent sont condamnés et incarcérés. Ces points de vente sont en effet particulièrement lucratifs, représentant jusqu’à « 35 000 € de chiffre d’affaires par jour », selon le magistrat.
La meilleure qualité de vie au monde, selon une étude
Parallèlement, Grenoble est célébrée pour son cadre naturel au cœur des Alpes et sa qualité de vie, ainsi que par l’excellence de ses pôles de recherche et d’industrie, qui attirent de nombreux diplômés étrangers. Réputée sportive et dynamique, elle accueille aussi plus de 40 000 étudiants par an dans son vaste campus à l’américaine.
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En août, la métropole alpine s’est même positionnée en tête d’un classement évaluant la qualité de vie dans mille grandes villes du monde établi par le groupe Oxford Economics, devançant Canberra (Australie) et Berne (Suisse).
Outre un relativement faible niveau d’inégalité de revenus entre ses habitants, la ville bénéficie de nombreux lieux dédiés aux loisirs et à la culture ainsi que d’un « cadre remarquable pour les activités de plein air », explique cette étude relayée par l’Agence France-Presse (AFP).
Grenoble bénéficie de fait d’une très bonne image à l’étranger où elle « sert souvent de modèle » en matière de politiques publiques, souligne à l’AFP Mélina Herenger, vice-présidente de la métropole de Grenoble en charge du tourisme, de l’attractivité et de la qualité de vie.
Pour autant, les ambivalences de sa réputation « sont réelles » et « les deux Grenoble existent », estime-t-elle. Mais le prisme de l’insécurité est réducteur et ne représente qu’une « toute petite proportion par rapport au bien-vivre grenoblois », souligne-t-elle.
Le maire reconnaît un « problème »
Un message « compliqué » à faire passer actuellement, reconnaît l’élue. Après le drame de dimanche, certains habitants ont exprimé leur ras-le-bol. « J’ai 77 ans et je n’ose plus aller à Grenoble, déplorait une auditrice de France Bleu Isère lundi matin. Le maire ne fait rien du tout, il enlève toutes les caméras. Il peut faire le beau devant tout le monde, moi, je suis écœurée. » Lichouki Dejean, frère de l’employé municipal tué dimanche, a affirmé au micro de BFMTV avoir « peur de vivre dans cette ville » où « ça fait 20 ans, 30 ans, qu’il y a des crimes ».
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« Il y a un problème, évidemment, à Grenoble », a reconnu Éric Piolle sur BFMTV mardi matin, tout en assurant travailler « avec la justice, la police et le corps préfectoral » pour endiguer ce phénomène. En septembre 2023, il avait signé, aux côtés d’une cinquantaine d’élus réunis au sein de l’association France urbaine, une tribune dans le Monde appelant à « un véritable plan national et européen contre le trafic de drogue ».
La politique sécuritaire divise
Mais son approche de la lutte contre les stupéfiants, qui passerait notamment par la légalisation du cannabis – au sujet de laquelle il réclamait déjà un « débat public » après une précédente fusillade en 2016 -, ne fait pas l’unanimité. Deux points concentrent les crispations : son refus d’armer les policiers municipaux et d’augmenter le nombre de caméras de vidéosurveillance.
« En tant qu’employeur, je considère qu’armer d’armes à feu nos policiers municipaux, c’est les exposer à la fois à des missions qui ne sont pas les leurs, et à des risques que je ne suis pas prêt à prendre pour eux », a martelé Éric Piolle sur BFMTV mardi.
Quant aux caméras, « il y en a 118 à Grenoble, et notamment sur les lieux du crime (de dimanche) », a-t-il souligné, tout en reconnaissant ses réserves face à leur usage : « Nous ne pensons pas que mettre une caméra derrière chaque citoyen fera avancer les choses. »
Une position critiquée par la droite. « Éric Piolle est un maire qui n’est pas sécuritaire et autoritaire, il ne parle que de prévention », a jugé lundi le maire de Nice (Alpes-Maritimes), Christian Estrosi (Horizons), sur BFMTV et RMC . Au micro d’ Europe 1 , Brice Hortefeux (LR), ministre de l’Intérieur de 2009 à 2011, a dénoncé quant à lui un « aveuglement idéologique ».
Polémique autour d’une « balle perdue »
Une petite phrase, prononcée dimanche par Éric Piolle en conférence de presse après la mort de Lilian Dejean, a attisé la polémique. « Nous savons que personne n’est à l’abri d’une balle perdue et c’est notre peur quotidienne dans les règlements de compte », avait répondu l’édile à la question d’une journaliste.
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De quoi déclencher la colère de Christian Estrosi. Le maire de Nice est réputé pour avoir fait de la sécurité sa priorité : en novembre 2023, il déclarait vouloir faire de sa ville une « safe city » ( « ville sûre ») dans un entretien au Point .
« Les propos d’Éric Piolle sur le fait que « personne ne serait à l’abri d’une balle perdue » sont inadmissibles », a-t-il écrit sur X (anciennement Twitter), ajoutant que « c’est un employé de la propreté qui a été froidement abattu alors qu’il tentait d’empêcher la fuite d’un chauffard ».
L’expression « balle perdue » était en fait une réponse à une question d’une journaliste, qui interrogeait plus largement le maire de Grenoble sur les règlements de compte à répétition dans la ville, et non sur la mort de Lilian Dejean, rappelle franceinfo . La phrase avait été reprise sur les bandeaux de chaînes d’information en continu, notamment CNews.
Sur BFMTV lundi matin, Éric Piolle a annoncé son intention de saisir l’Arcom, l’autorité de régulation de l’audiovisuel français, contre les « fake news de la fachosphère ». Pas sûr que cela suffise à éteindre toutes les controverses.
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