La commune héraultaise de 6000 habitants, située aux portes du parc régional du Haut Languedoc, multiplie les initiatives pour pallier la pénurie : raccordement à une commune voisine, réhabilitation d’une source abandonnée, recherche de nouveaux gisements, chasse aux fuites, sensibilisation de la population… « Il faut imaginer l’avenir », se projette le maire Francis Barsse, « très inquiet ».
Du mieux partout sauf une recharge déficitaire dans l’Aude et les Pyrénées-Orientales, et « une situation dégradée sur l’ouest du littoral du Languedoc et sur le Roussillon » : l’état des lieux des nappes d’eau souterraines, dressé par le BRGM, fait écho à une situation d’alerte, voire de crise, du site gouvernemental VigiEau, des ressources en eau potable, superficielle et souterraine.
Le 1er août, le préfet du Gard a annoncé « les premières mesures de restriction des usages » sur le bassin-versant de l’Ardèche, classé en alerte sécheresse. Et la vigilance est de mise sur les « zones Vidourle, Arre, Hérault, Gardons, Cèze ».
Dans l’Hérault, le comité de suivi de la ressource en eau, réuni le 6 août, a activé une « vigilance » dans l’est, et déclenché des niveaux d’« alerte renforcée » et de « crise » dans l’ouest du département.
« La situation s’améliore, sauf ici », se désole Francis Barsse, maire de Bédarieux, qui consulte tous les matins le débit des deux sources qui alimentent la commune, les Douze et la Joncasse. Les mauvaises nouvelles s’accumulent sur un bout de papier où les chiffres sont écrits serré : « Le 13 août, on est à 28 m3/heure aux Douze. Le 14 juin, c’était 34 m3. On perd 5 m3/heure par semaine. Il y a trois ans, on était à 180 m3/heure », se désole l’élu, divers gauche, retraité de l’office national des forêts.
À la Joncasse, le débit oscille entre 85 et 115 m3/heure, « selon les jours ». « Sans raison » identifiée, elle « a décroché deux fois » l’été dernier.
« J’ai demandé une dérogation pour arroser le stade. Sinon, il faudra le refaire et je n’en ai pas les moyens »
« Nous, on prend le changement climatique de plein fouet », commente Philippe Anglade, l’adjoint chargé de la gestion de l’eau de la commune, située aux portes du parc naturel régional du Haut-Languedoc. Aux Douze, l’eau a longtemps glouglouté, se déversant dans un canal asséché qui n’a plus rien d’une « levada ».
De 1 à 12, à chacune des anciennes arrivées, elle suinte, au mieux. En contrebas du bâtiment de 1890 minutieusement verrouillé qui abrite l’arrivée des sources, le Vebre est à sec, on s’y baignait autrefois.
« Suite aux inondations de 2014, on avait rehaussé le pont », se souvient l’adjoint. Il surplombe désormais un lit caillouteux vide envahi par une végétation trompeuse. À Bédarieux, « les chênes commencent à crever » et les chiffres sont têtus, les courbes s’effondrent. Il pleut moins, et la ressource se raréfie. « Le dernier rechargement important date de 2022, quand il était tombé 300 millimètres en quelques jours », se souviennent les élus. Depuis, les orages sont trop violents, et ils frappent souvent ailleurs.
En trente ans, 200 millimètres d’eau perdus par an
Les analyses de pluviométrie sur la commune de Bédarieux montrent un net recul des niveaux de précipitation depuis trente ans : – 18 %. De 1994 à 2000, la pluviométrie moyenne était de 1140 mm par an. Elle est tombée à 940 mm de 2010 à 2021, soit 200 millimètres de moins. Ces cinq dernières années (septembre 2019-août 2024), la production de la source des Douze s’est effondrée : – 84 %. Et – 30 % dans le même temps pour la source de la Joncasse.
Cette année, Francis Barsse veut éviter les restrictions imposées à la population en 2023.
Il y parvient encore, au prix de mesures drastiques : « On n’a pas fleuri la commune, on lave les rues et on arrose les arbres grâce à l’eau récupérée et stockée après la vidange de la piscine municipale l’an dernier, elle nous permet aussi d’arroser le stade deux fois par semaine. Sinon il faudra le refaire et je n’en ai pas les moyens. J’ai demandé une dérogation au préfet qui me l’a accordée », explique le maire, contraint de déployer un plan d’action qu’il aurait fallu lancer « il y a dix ans ». Le représentant de l’État a aussi assuré à l’élu, le 30 juillet dernier, qu’il étudierait un financement des investissements « eau » de la commune supérieur à la limite actuelle maximale de 80 %.
« Si on n’a pas d’eau, le développement de la commune s’arrête »
Les besoins, eux, n’évoluent pas pour une population qui se maintient à 6000 habitants, + 2,5 % au dernier recensement, et qui doit composer avec l’activité des acteurs économiques, usine de béton, blanchisserie… « Il nous faut 2500 m3 et si on n’a pas d’eau, le développement de la commune s’arrête ».
Depuis un an, dans l’urgence et « l’inquiétude », parce « qu’il faut être précautionneux et imaginer l’avenir », les initiatives fusent : « On a réactivé un forage sur la commune de Villemagne-l’Argentière grâce à une convention passée avec nos voisins, on a aussi passé un accord avec le syndicat intercommunal Mare et Libron pour tirer un tuyau qui pourra nous apporter de l’eau… »
La solidarité est à double sens : Bédarieux a aussi acheté une citerne de 10 m3 qui dépanne les hameaux en souffrance.
Ces initiatives ont un coût : 700 000 euros pour le forage qui donne 35 m3/heure. 300 000 euros pour le « tuyau », avec un droit de tirage 600 m3 par jour qu’il faudra payer au prix fort, 1,20 euro le mètre cube, compte le maire. Au total, c’est déjà plus un million d’euros de nouvelles dépenses, couvertes en urgence par un emprunt. La charge était insupportable pour une municipalité qui fonctionne avec 8 millions d’euros d’investissements, et autant de fonctionnement, dont 1,5 million d’euros pour l’eau.
Depuis un an, enfin, la commune traque les fuites : « On creuse, on répare », assure Philippe Anglade, qui fait état d’un rendement à 80 % du réseau. Bédarieux cherche aussi activement de l’eau dans son sous-sol. Et sensibilise ses administrés, à commencer par les propriétaires de piscines. Des centaines de kits d’économie d’eau ont été distribués gratuitement. De là à changer les habitudes… « Les gens ne comprennent pas toujours ».
Nicolas Chantepy, directeur général adjoint de l’agence de l’eau : « Un sentiment d’urgence »
Nicolas Chantepy est directeur général adjoint de l’agence de l’eau Rhône Méditerranée-Corse.
Est-ce que la question de la ressource en eau est devenue omniprésente chez les élus ?
Oui, l’élément déclenchant a été la sécheresse de 2022, à la fois très longue et très forte sur quasiment tout le territoire national. On a bien senti une prise de conscience, à la fois des collectivités et aussi des acteurs industriels. Les agriculteurs étaient sensibilisés depuis longtemps au problème. Sur tout le sud du bassin, on a aujourd’hui un certain nombre de collectivités qui ont des problèmes avec des ressources qui décroissent de manière significative.
La situation re-questionne les collectivités. Quand la ressource est abondante, on peut se permettre d’avoir des réseaux qui fuient, de ne pas faire attention. Quand il y a une menace de pénurie, on se pose les bonnes questions. Le problème, c’est qu’on se les pose souvent un peu tard, avec un sentiment d’urgence.
Où sont les « points noirs » aujourd’hui ?
D’une manière assez généralisée, les départements des Pyrénées-Orientales, de l’Aude, et dans la partie ouest de l’Hérault, la situation est assez tendue.
La problématique est plus aiguë dans de petites communes, isolées. Une des solutions, quand on a une ressource qui flanche, est de travailler en réseau.
La solidarité joue ou c’est chacun pour soi ?
Plus on gère la ressource en eau potable au niveau intercommunal, plus on est « résilient », plus on est à même de faire face à des problèmes. Une seule ressource est par définition fragile et peut devenir insuffisante.
Comment intervient l’agence de l’eau ?
On intervient pour améliorer le rendement des réseaux, pour réduire les fuites. Et sur des territoires identifiés comme déficitaires, dans lesquels les prélèvements excèdent les capacités, on finance des PTGE, des plans territoriaux de gestion de l’eau, pour travailler à la réduction des prélèvements : quand on est un industriel, on essaie de recycler l’eau, quand on est un agriculteur, on passe à des systèmes économiques d’irrigation, quand on est une collectivité, on réduit les fuites. On gère autour de 2000 dossiers par an.
Et on a lancé des appels à projets, dans le cadre du contexte de sécheresse, pour identifier des collectivités « points noirs », où moins de 50 % de l’eau prélevée arrive au robinet.
Il y en a beaucoup ?
Paradoxalement, oui. Y compris dans les Pyrénées-Orientales. Je rappelle que le plan eau, lancé par le président de la République l’an dernier, a un objectif de sobriété, réduire l’ensemble des prélèvements de 10 %. Une des solutions est de réduire les fuites, l’autre est d’inviter les particuliers à baisser la consommation, ça marche parfois, on l’a vu l’an dernier. Mais cette dernière option entraîne une perte de recettes, il faut augmenter le prix de l’eau pour continuer à dispenser un service efficace.
Vous travaillez aussi sur la qualité…
Sur un certain nombre de captages, on a des problèmes de pollution, notamment agricole. On essaie de les réduire, parce que quand on abandonne une ressource, on se pénalise dans un contexte tendu, et la situation est encore plus difficile.
Ces problématiques ne vont faire que s’amplifier dans les années à venir ?
Oui, la situation qu’on a connue en 2022 va devenir de plus en plus fréquente. Il faut moins consommer, alors qu’on va avoir besoin de plus d’eau, notamment pour l’agriculture. On a des adaptations à tous les niveaux. Sachant qu’on est un pays béni en France. On a une situation qui se tend, on ne peut plus se permettre de gaspiller mais on n’est pas dans la situation de l’Espagne, de l’Italie ou de la Grèce.
Les simulations climatiques, en 2050, montrent qu’on aura la même quantité de pluie. Mais les précipitations seront beaucoup plus faibles en été et plus abondantes en hiver. Et elles tomberont de manière plus brutale, avec plus de ruissellement. Avec la même quantité d’eau, on aura des paysages plus arides.
Le dernier élément qu’apporte le changement climatique, c’est qu’il tombera moins de neige, qui est une alimentation différée de la ressource en eau, une forme de stockage. Les projections en 2070-2080 font état d’une quasi disparition des glaciers. Le Rhône, alimenté par la fonte des neiges et des glaciers, va changer de régime hydrologique.
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