Ils ont l’engagement et le bien public chevillés au corps, sans quoi, ils ne se seraient pas présentés aux élections municipales. Sans quoi, ils ne supporteraient pas le durcissement des conditions d’exercices de leur mandat : complexité technique et administrative, capacité financière en baisse, incertitude, et même violences… Face au tableau qui s’assombrit, où les maires trouvent-ils leur motivation ?
Alors qu’au niveau national, on sort d’un épisode politique inédit, qui a vu en l’espace d’un été l’Assemblée nationale dissoute, et la France avancée sans gouvernement durant de nombreuses semaines, on est en droit d’interroger la politique. Et de constater – même si on s’en doutait – que l’engagement politique n’a pas le même sens, selon que l’on envisage le mandat comme une carrière ou comme un devoir.
Un engagement public plus que politique
Pour ce qui est du mandat de maire, si ceux dont on parle le plus dirigent de grandes communes très peuplées, quid des motivations des élus des petits territoires ? Des communes dont à chaque élection municipale, on ne trouve souvent qu’une seule et unique liste, constituée à grand renfort de dialogue, pour convaincre les administrés, de s’engager dans la partie. Celles dont les maires et conseillers articulent le mandat autour d’une carrière professionnelle ? Celles qui dénoncent depuis plusieurs années, devoir faire plus avec moins de moyens ?
« Bien souvent, ce qui motive les candidats, c’est la volonté d’être utile dans sa commune », explique Daniel Vitte, président de l’association des maires de l’Isère (AMI), par ailleurs maire de la commune de Montrevel. « C’est parfois le prolongement d’un engagement associatif, ou la volonté d’étudier des questions très concrètes comme l’aménagement de la place du village, ou la rénovation d’un équipement : salle des fêtes, cantine, garderie…C’est s’impliquer pour faire évoluer positivement le quotidien. »
Pascale Rigault, maire de Veurey-Voroize, commune de 1 400 habitants intégrée à la Métropole de Grenoble, témoigne.
« Ce qui m’a poussée à devenir maire, c’est d’abord une équipe, et surtout l’envie de m’investir pour les administrés. Je viens des associations, et ce qui me motive c’est de donner aux autres. Ça fait partie de mes valeurs. Je pense que tous les citoyens devraient au moins une fois dans leur vie, faire cette expérience, parce qu’on apprend plein de choses. C’est aussi un enrichissement intellectuel très intéressant. »
Le bloc communal, l’échelle des « sans étiquettes »?
Comme pour accentuer la notion d’engagement au service du bien commun plutôt que l’engagement politique stricto sensu, il semble que dans les plus petites communes, la proportion de maires « sans étiquette » soit très importante. Un état qui peut témoigner de deux situations : soit la volonté de s’impliquer dans l’action commune toutes convictions personnelles mises à part, soit la difficulté à trouver des volontaires pour constituer des listes – a fortiori des listes politisées.
Daniel Vitte de poursuivre : « Si vous prenez un échantillon de Français quels qu’ils soient, il y en a un nombre limité qui est impliqué dans des partis politiques ou dans des syndicats. Cette proportion se retrouve à l’échelle des communes. En ville, le fait que les équipes municipales sont généralement marquées politiquement fait que les candidats sont regroupés dans des partis ou des groupes. A la campagne, c’est encore une fois l’engagement qui fait avancer, et les équipes sont faites de sensibilités diverses. Quand on dit que la culture du compromis existe au niveau local ou intercommunal, c’est parce que les personnes mettent d’abord en avant les projets qui les rassemblent, et que leurs divergences politiques ne sont pas des obstacles. »
L’élu, qui vit cette culture du compromis quotidiennement dans sa mairie de Montrevel comme au sein de la communauté de communes des Vals du Dauphiné où il siège en tant que vice-président, témoigne aussi de ce fonctionnement au sein de l’AMI. « Nous avons des élus de sensibilité politique très diverses au bureau, mais nous vivons la gestion de l’association des maires avec ses pluralités, comme étant des chances plutôt que des obstacles. D’ailleurs, je ne parle pas de maire « sans étiquette ». Je dis seulement que ces élus n’ont pas d’engagement partisan. »
De moins en moins de mandats municipaux successifs
Si la volonté de faire avancer les projets locaux est forte pour les maires et conseillers municipaux, elle est de moins en moins longue dans le temps, selon Daniel Vitte qui constate de plus en plus de réticences à enchaîner des mandats déjà longs : six ans. Se pose alors la question de la relève.
« Dans ce domaine aussi il y a une évolution. Il y a quelque temps, les maires qui arrêtaient avaient fait quatre, cinq, six mandats, voire plus. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus rare et les élus dès le départ, s’engagent pour un temps limité ». On ne dira pas le contraire du côté de la mairie de Grenoble, alors qu’Éric Piolle avait prévu dès son premier mandat qu’il n’en ferait que deux, au maximum. A Grenoble cependant, on sait d’avance que les candidats se bousculeront pour lui succéder, ce qui n’est pas le cas dans les communes plus modestes, ou dans les communes rurales.
« La fonction d’élu et particulièrement de maire, est très consommatrice de temps et d’énergie. Concilier vie professionnelle, vie familiale, et vie publique est un vrai défi. Les maires s’engagent pour un temps limité car ils doivent aussi prendre en compte l’évolution de leur carrière professionnelle et la vie de famille. La tendance est, et demeurera à faire moins de mandats. »
Quel que soit le nombre de mandats, Daniel Vitte insiste sur l’importance de conserver l’envie de réaliser et l’envie de manager une équipe. Equipe dont est souvent issue la relève. Transmettre l’enthousiasme est donc capital pour poursuivre l’action. « Dans le mandat de maire, il y a aussi le fait d’amener un certain nombre de collègues élus à prendre des responsabilités, à les assumer, et à être apte à poursuivre ».
Pascale Rigault, à Veurey-Voroize, était elle-même adjointe à la solidarité, avant de se présenter et d’être élue dans son premier mandat de maire en 2020. Elle compte désormais aussi beaucoup sur ses adjoints. « C’est un travail d’équipe. On a parfois des coups de mou, et avoir une équipe soudée à ses côtés, c’est ce qui fait qu’on a envie de continuer. A Veurey, c’est dynamique. On a des projets d’expansion de crèche, on a refait l’école. La capacité à faire rend le mandat intéressant. »
Violences, complexité administrative… Quand le maire démissionne
Poursuivre l’action au poste de maire, d’adjoint, ou de conseiller, s’avère d’autant plus difficile que les conditions d’exercice se durcissent. Sans un sens de l’engagement chevillé au corps, il est difficile de faire face aux contraintes budgétaires, aux différentes règlementations superposées (comme dans le cas de l’urbanisme pour ne citer que cet exemple), mais aussi, de plus en plus souvent à la violence.
Défendre l’intérêt général est difficile quand certains habitants ne voient que leur intérêt personnel. Et c’est ainsi que ce que l’on pensait marginal est devenu une réalité pour des élus communaux, qui essuient de plus en plus la colère, jusqu’à l’agression physique de ceux et celles qui demeurent les premiers fusibles. Selon le ministère de l’Intérieur, les agressions envers les élus en France ont augmenté de 15 % en 2023, après une hausse de 32 % en 2022.
En Isère, ces violences existent mais pas en nombre excessif, confirme Eric Vaillant, procureur de la République de Grenoble. « J’ai une ou deux affaires par an. Ce n’est pas excessif mais mon travail est d’être extrêmement attentif. J’ai diffusé mon numéro de portable à tous les élus. Je leur demande de se mettre en contact avec moi dès qu’il y a un souci. Dès qu’ils sont victimes, je suis très rapidement prévenu par les policiers ou gendarmes. Cela me permet de suivre personnellement les enquêtes et de donner les suites pénales les plus adaptées. En général, je veille à les prévenir personnellement de ce que fait le parquet les concernant. » Et d’ajouter qu’il existe des référents élus dans toutes les brigades de gendarmerie.
« Si on ne peut pas parler de priorité de politique pénale en raison du petit nombre de cas concernés, c’est en revanche une priorité d’attention pour que ces affaires ne soient pas traitées dans la masse des affaires qui arrivent par dizaines au tribunal. »
Depuis quelques années, le nombre de maires qui démissionnent en cours de mandat est en progression en Isère. Un fait lié à la hausse de la violence certes, mais qui trouve sa source dans différentes causes rappelle Daniel Vitte. » Nous étions à 10 % il y a deux ans, le chiffre a continué de progresser, c’est une réalité. Le nombre de maires qui démissionnent ou qui ne vont pas au bout de leur mandat est toujours en progression mais pour des raisons diverses. Nous avons perdu l’un d’entre eux il y a quelques semaines, il y a parfois des maladies… Et il y a, c’est vrai, une forme de recul du respect de la fonction, pour une minorité de personnes, mais que l’on voit de plus en plus… C’est vrai, les conditions sont de plus en plus difficiles, ne serait-ce que dans les aspects administratifs. Le choc de simplification n’est pas descendu jusqu’aux communes, les moyens budgétaires sont inquiétants, d’autant que le nouveau gouvernement prône une rigueur : y aura-t-il un partage avec les collectivités ? La question que cela pose, c’est : aurons-nous des candidats pour les prochaines élections ? »
De la commune à l’intercommunalité, le défi des collectivités ?
Des élections municipales qui, depuis la loi du 17 mai 2013, impliquent que les conseillers communautaires soient aux aussi désignés et élus au suffrage universel. Une loi qui ajoute un étage à la fusée de l’élu, qui en plus d’accepter les contraintes municipales, doit consacrer de son énergie et de son temps au mandat intercommunal. Du dire du président de l’AMI, les réunions intercommunales sont non seulement nombreuses en lien avec les nombreuses commissions thématiques, mais aussi importantes dans la mesure où l’expression de l’intercommunalité doit être l’expression des élus locaux.
« Pour certains élus, ça peut poser un problème de motivation, car ils s’engagent souvent pour agir dans leur commune, dans leur quotidien. L’intercommunalité demande de l’énergie et de la disponibilité sur des territoires plus éloignés et sur des sujets qu’on connait moins. C’est l’un des défis de l’interco que de convaincre l’élu communal de siéger dans ses commissions ».
Des freins multipliés et qui pourraient persister, qui dégradent dans certains aspects les conditions du mandat des élus des communes les plus rurales et les moins peuplés. Pas de quoi décourager les candidats convaincus pour Daniel Vitte. « Les journalistes aiment parler du ‘blues des maires’. Je n’aime pas cette expression. Je pense que les maires dans leur immense majorité sont dans l’action, du début à la fin de leur mandat, malgré le fait que ce soit de plus en plus difficile ».
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