Chargée de recherche en sciences sociales au CNRS, dans un laboratoire en sciences politiques basé à l’ENS de Lyon, Yasmine Bouagga ne s’attendait pas à devenir maire lorsqu’elle s’est engagée auprès de Grégory Doucet en 2019. Élue l’année suivante à la mairie du 1ᵉʳ arrondissement de Lyon, elle définit son rôle comme « un rouage dans les politiques publiques de la Ville et de la Métropole ».
Elle cite son engagement associatif pour la défense des droits humains comme « la base » de son « moteur politique » et de sa « motivation personnelle ». Squat, insécurité, mobilités, végétalisation, isolation… À moins d’un an des élections municipales, elle répond aux questions d’actu Lyon.
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« Je suis très fière de ce qu’on a fait »
Actu : Quel regard portez-vous sur ce premier mandat ?
Yasmine Bouagga : Je suis très fière de ce qu’on a fait. Il y a de la frustration pour certains projets longs à démarrer, mais le 1ᵉʳ a accompli une belle transformation. C’est un arrondissement très piéton : on a accompagné ces usages de manière positive, même si tout n’est pas simple.
Montée Saint-Sébastien par exemple, un simple aménagement a permis d’améliorer le confort des milliers de piétons qui l’empruntent chaque jour. On ne reviendrait pas en arrière.
Comment le 1er s’est-il transformé concrètement ?
YB : Nous avons agi sur plusieurs axes, pas seulement celui de la mobilité, visible car il touche à des problématiques du quotidien. On préempte des immeubles insalubres et vacants pour créer près de 400 logements sociaux.
On a créé du logement « intercalaire » : dans l’attente d’une grosse rénovation, le bailleur accepte de mettre à disposition son local sur une durée limitée à une association d’aide aux sans-abris. C’est précaire, mais cela permet une stabilisation en vue d’un logement social.
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« Les gens ne veulent pas revenir en arrière »
Quelle part est donnée à l’avis des habitants ?
YB : On a une grande thématique autour de la démocratie participative. On est très critiqués sur ce sujet, mais je pense qu’on entend beaucoup de critiques parce qu’on les laisse beaucoup s’exprimer.
Sur le 1ᵉʳ, on compte 232 réunions publiques dans ce mandat, cinq fois plus que le précédent. Des avis divergents nous permettent d’aboutir à des aménagements mieux réfléchis, comme sur l’ancienne école des Beaux-Arts, qui doit sa dimension de lieu public à la concertation.
Sur l’apaisement de la Presqu’île, où l’objectif est de réduire les mobilités motorisées, quelqu’un qui s’oppose à l’idée de base pourra être frustré de ne pas être entendu. En revanche, on prend en compte ce qui est apporté dans le cadre : on fait une Zone à trafic limité et pas une piétonisation totale car les habitants nous ont dit qu’ils préféraient pouvoir continuer de se garer en bas de chez eux.
La majorité des habitants du 1ᵉʳ n’a pas de voiture. Mais il faut qu’on puisse traiter les besoins de ceux pour qui c’est indispensable. Pour ça, il faut éprouver le dispositif et bien identifier les besoins.
Nous avons aussi agi pour rendre la culture accessible et participative : soutien au Lavoir Public, création du Tiers-Pop pour les jeunes à Truffaut. Et sur le climat, la Semaine du climat mobilise le quartier.
Comment les habitants ont-ils accueilli la transformation de l’espace public ?
YB : Il y a des personnes négativement impactées, c’est évident. Mais globalement, les retours sont bons. Les gens ne veulent pas revenir en arrière. Place Sathonay, l’espace est plus convivial. Les usages piétons sont renforcés. Même sur les pentes, où les aménagements ne sont pas encore complets, on voit que les habitudes changent et que les gens marchent au milieu de la chaussée. On continue à vidéoverbaliser les contrevenants.
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Yasmine Bouagga répond aux commerçants
Des commerçants vous accusent de causer une baisse de fréquentation. Que répondez-vous ?
YB : Je pense que les vraies difficultés tiennent à l’évolution des pratiques d’achat, pas à la piétonisation. L’explosion de la vente en ligne touche particulièrement le prêt-à-porter. Ailleurs, les centres-villes piétonniers ont vu leur fréquentation augmenter. D’ailleurs, les relevés à la sortie des stations de métro de la Presqu’île montrent une hausse de 20 à 30 % dans le secteur. La crainte de désertification du centre-ville s’avère fausse.
Mais c’est une réalité nationale que la baisse de la consommation qui frappe les commerçants. On soutient les associations pour faire en sorte de faire venir les gens.
Nous sommes très vigilants : piétonisation peut aussi rimer avec spéculation. C’est pourquoi nous travaillons avec Boris Tavernier (député écologiste du Rhône) à l’encadrement des loyers commerciaux, pour préserver les petits commerces indépendants qui font l’âme du quartier.
Qu’est-ce que vous pensez de ceux qui vous accusent d’idéologie ?
YB : Ce n’est pas un discours que j’entends souvent en direct, mais il est tenu par certains opposants. On a des convictions, on fait de la politique. On avance de manière très pragmatique, et on le fait avec les habitants en prenant en compte les problèmes pratiques soulevés. Par exemple, protéger les piétons, ce n’est pas de l’idéologie, c’est un choix politique et humain.
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Une surchauffe des logements
Qu’avez-vous fait sur la question de la chaleur dans l’arrondissement, le plus dense de Lyon, où tout doit être validé par les Architectes des bâtiments de France ?
YB : On essaie de travailler sur la végétalisation, mais il faut qu’on avance sur la meilleure protection face à la chaleur.
Tout ça, c’est aussi commencer par le plus basique : installer des persiennes, des stores ou brise-soleil dans toutes les écoles, ce qu’on a fait. Après, c’est installer des brasseurs d’air et on continue d’avancer là-dessus.
Il faut qu’on avance mieux sur l’isolation des bâtiments : les solutions qui existent aujourd’hui sont trop coûteuses. Il y Ecorénov patrimoine, le levier de soutien financier de la Métropole et de la Ville réservé au quartier.
Au départ, en 2020, apparaissait dans nos échanges avec les Architectes du Patrimoine l’idée que la caractéristique du 1ᵉʳ était minérale. Mais ça a beaucoup changé : ces derniers sont devenus moteurs de la végétalisation et nous font des propositions plus audacieuses. L’alignement d’arbres rue Constantine est un exemple que l’on croyait impossible.
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Insécurité, tags, saletés, squat
Les nuisances nocturnes et l’insécurité, en particulier place Sathonay et aux Terreaux, restent un sujet brûlant. Que répondez-vous ?
YB : On a mis en place des patrouilles municipales, un référent à la mairie, de la médiation nocturne pérenne et une interdiction de vente d’alcool à emporter avec des fermetures administratives à la clé pour les supérettes contrevenantes. Résultat : une baisse significative des coups et blessures et de l’accidentologie.
Mais la police municipale n’est pas habilitée à intervenir lors d’une rixe au couteau. J’alertais depuis longtemps sur le besoin de brigades de nuit de la police nationale aux Terreaux : elles sont là depuis quelques semaines, c’est essentiel.
Sur les tags et le street-art, quelle a été votre position sur ce mandat ?
YB : On a été confrontés à une très grande augmentation des tags lors des mouvements sociaux, sans pouvoir tenir le rythme dans l’effacement malgré un budget augmenté de 30%.
On n’a jamais été laxistes, ni tardé dans l’effacement d’inscriptions haineuses. À une exception : sur les monuments fragiles, il faut attendre la disponibilité des restaurateurs du patrimoine. Je comprends que ça ait choqué, je l’ai moi-même été, mais on n’aurait pas pu faire venir un karcher qui abîme la pierre.
On a aussi été attaqué par certains sur le street-art, mais ce n’est pas partagé par la plupart des habitants du 1er qui apprécient les œuvres qui font l’objet de visites patrimoniales et scolaires. On n’a aucune raison d’effacer cette culture.
Même chose sur la propreté ?
YB : La très forte fréquentation à toute heure de l’arrondissement rend difficile le nettoyage. Les équipes s’arrachent les cheveux pour savoir à quelle heure nettoyer la place des Terreaux.
Avec la piétonisation, on a aussi augmenté la surface à nettoyer. Malgré l’augmentation des moyens, des incivilités persistent : urines, détritus, poubelles de restaurants mal gérées. Nous verbalisons, mais les problèmes persistent et je réclame plus de moyens encore.
Comment gérez-vous les occupations illégales comme les squats ?
YB : La Métropole a créé 105 places d’hébergement pour jeunes migrants, un dispositif modèle en France, mais pas suffisant par rapport aux besoins. La Ville a créé un service de l’hébergement d’urgence, avec un budget dédié à plus de 2 millions d’euros, une première.
Dans le 1er, c’est très frustrant de constater qu’on n’a aucun levier légal pour répondre au problème des 250 jeunes qui campent dans le parc des Chartreux. On a fait de la médiation entre occupants et propriétaires pour voir dans quelle mesure il serait possible de faire une convention d’occupation.
On installe des toilettes et l’accès à l’eau. La politique précédente était de couper l’eau, c’est inacceptable.
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Des noms à cesser d’honorer
Vous comptez installer une plaque explicative sur la statue du sergent Blandan place Sathonay. Quelle est votre politique sur la mémoire ?
YB : On a fait le travail sur la féminisation des noms de rue. Ce sont des petits pas, car on a fait le choix de ne pas débaptiser de rue.
S’est posée la question de l’Abbé Pierre, qui a amené un questionnement sur d’autres figures qui ont commis des crimes graves qu’on ne peut plus honorer comme modèles, mais dont il faut conserver le souvenir. C’est là que j’ai souhaité qu’on discute du sergent Blandan, un soldat mort à 23 ans pour la conquête de l’Algérie, utilisé comme instrument de propagande militaire et coloniale. On a commencé un travail mémoriel pour questionner le rôle de Lyon dans la colonisation.
Ça me semble important de mettre à distance le discours militariste inscrit au socle, qui ne correspond pas aux valeurs de la République française.
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